Les nouvelles conditions d’exploitation du circuit d’Albi : des questions en suspens

La publication au Journal officiel de l’arrêté du ministre de l’intérieur en date du 27 septembre 2019 portant homologation du circuit de vitesse d’Albi nous éclaire sur les nouvelles conditions d’exploitation du circuit. Nous avons procédé à la comparaison systématique des nouvelles dispositions avec celles qui figuraient dans le précédent arrêté d’homologation en date du 17 septembre 2015 pour pointer les différences. Le lecteur intéressé trouvera ici [lien fichier 1] le résultat de cette analyse point par point.

Le nouveau règlement d’homologation du circuit d’Albi : ce qui change

Parmi les points notables, on note que le circuit est désormais interdit aux motos ainsi qu’à la pratique du « drift » (courses de « glissades contrôlées »). On ignore si cette interdiction – motivée, pour les motos, par l’absence de mise aux normes du virage du circuit – est destinée à rester pérenne ou non.

On remarquera également que si le propriétaire du circuit et son exploitant restent tenus de maintenir en permanence en état la piste, ses dégagements et tous les dispositifs de protection des spectateurs et des concurrents, l’obligation, qui figurait à l’article 3 de l’arrêté de 2015, de protéger par un grillage toutes les zones publiques, n’est pas reprise dans l’arrêté de 2019 qui vise cependant l’article R.331-21 du code du sport expressément consacré aux zones réservées aux spectateurs autour du circuit.

Au-delà de ces questions relatives à la sécurité des concurrents et du public, le nouvel arrêté d’homologation appelle plusieurs observations. Selon les nouvelles prescriptions, l’utilisation de la piste reste autorisée du lundi au vendredi, de 9h00 à 12h00 et de 14h00 à 18h00, comme précédemment. Elle l’est également, désormais, les samedis et dimanches – mais plus les jours fériés –, de 9h30 (au lieu de 9h00) à 12h00 et de 14h00 à 17h00, dans la limite de trois samedis et trois dimanches par mois (au lieu de trois dimanches par mois précédemment) et dans la limite globale de douze samedis et douze dimanches par an (au lieu de vingt-quatre dimanches par an précédemment). À ces jours s’ajoutent désormais trois samedis et trois dimanches pour les associations sportives automobiles. Par ailleurs, le circuit ne fonctionnera pas au moins trois week-ends durant le mois d’août.

Des dérogations aux nombres de jours d’ouverture autorisés figurant ci-dessus seront possibles dans le cadre de manifestations « dûment déclarées » auprès du préfet et dans la limite de 20 jours par an, samedis et dimanches inclus, pour les véhicules à propulsion électrique et de 12 jours par an, samedis et dimanches inclus, pour les autres véhicules.

Si l’on applique ces nouvelles dispositions au calendrier de l’année 2020, on compte 47 samedis ou dimanches durant lesquels le circuit pourra, potentiellement, être utilisé l’an prochain. À quoi s’ajoutent environ 150 jours d’utilisation en semaine si l’on anticipe à peu près la même activité que les années précédentes (205 jours d’activité au total en 2017).

Comme celui de 2015, le nouvel arrêté d’homologation autorise des dérogations aux niveaux sonores maximums de 95dbA pour certaines manifestations, dans la limite des valeurs fixées par les fédérations sportives délégataires. Mais alors que les manifestations concernées devaient, sous le précédent arrêté, être « autorisées » par le préfet, elles n’auront plus désormais qu’à lui être « déclarées ». Il s’agit là de l’application d’un décret du 9 août 2017 qui, dans un but déclaré de simplification, a substitué un régime de déclaration à l’ancien régime d’autorisation (art. R. 331-20 du code du sport). Ce relâchement du contrôle préfectoral est-il de nature à apaiser les tensions qui règnent autour du circuit d’Albi ? Ce n’est pas sûr.

Le nouvel arrêté d’homologation renforce la transparence autour des activités du circuit. L’exploitant devra rendre public, au plus tard la dernière semaine du mois précédent, le planning prévisionnel des activités sur le circuit pour le mois à venir. Il lui incombe également de contrôler les émissions sonores des véhicules et d’interdire l’accès à la piste des véhicules dont le bruit émis dépasse les valeurs autorisées.

Par ailleurs, il a désormais l’obligation de mettre en place un dispositif de mesure des niveaux sonores en mode dynamique et d’exclure de la piste des véhicules mesurés à des valeurs supérieures à celles fixées par le règlement intérieur du circuit. Enfin, le résultat du contrôle des émissions sonores est désormais mensuel et il doit être adressé au préfet (et non plus seulement « tenu à sa disposition, à sa demande »).

En vertu de son cahier des charges (art. 7.1), l’exploitant du circuit doit tenir à la disposition des associations de riverains qui en font la demande les résultats des contrôles des émissions sonores. Le contrat stipule en outre que toutes les mesures et contrôles acoustiques (sauf les mesures sur les véhicules eux-mêmes) seront effectués par un organisme indépendant choisi par le délégataire.

Nous avons déjà eu l’occasion, à Viv’Albi ! (voir l’article sur vivalbi.fr), de rappeler que l’État doit, en vertu du code de l’environnement (art. L.124-7) prendre les mesures permettant au public de connaître ses droits d’accès aux informations relatives à l’environnement qu’il détient et veiller à ce que le public puisse accéder aux informations qu’il recherche. Le préfet du Tarn devrait donc tenir à la disposition du public les contrôles mensuels des niveaux de bruit réalisés par le concessionnaire du circuit et indiquer, sur le site de la préfecture, les informations pratiques permettant d’accéder gratuitement et facilement à ces informations, le mieux étant encore de les diffuser en ligne.

Il en va de même pour les mesures de bruit dans l’environnement que l’exploitant est tenu d’effectuer régulièrement. Concernant ces dernières mesures, le cahier des charges de la concession (art. 7.1) oblige l’exploitant du circuit à présenter, au moins une fois par an, un bilan de l’impact acoustique de ses activités, notamment aux associations de riverains qui peuvent constituer un « comité de surveillance » avec les autres parties prenantes listées au contrat : représentants de l’État et des communes d’Albi et du Séquestre, associations locales représentant les fédérations sportives). Pour la réalisation des prochaines mesures de bruit, il serait souhaitable que le concessionnaire et les services de l’État, qui ont en charge de définir conjointement les conditions de leur réalisation, associent les associations intéressées, notamment les associations de défense des riverains, à la définition du périmètre géographique concerné par ces mesures.

La question du bruit au voisinage du circuit d’Albi : quelles normes applicables ?

La question des valeurs limites du bruit autorisé au voisinage du circuit fait aujourd’hui l’objet de débats entre exploitant et associations de riverains dont la presse s’est fait l’écho. Derrière la technicité du débat juridique, l’enjeu est d’importance, puisqu’il s’agit de savoir quelles sont les normes de bruit applicables au voisinage du circuit, en particulier si les prescriptions précises du code de la santé publique s’appliquent ou non aux activités sportives organisées sur le circuit. Nous avons voulu, à Viv’Albi ! tirer l’affaire au clair. Nous avons donc procédé à l’analyse juridique des textes éclairés par la jurisprudence administrative. Elle est accessible ici [lien fichier 2] pour ceux que cela intéresse.

Pour nous, il ne fait aucun doute que l’exploitation du circuit doit être assurée dans le respect du code de la santé publique qui pose clairement qu’ « aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme (…) ». Les valeurs limites d’émergence fixées dans ce code s’imposent désormais, et en tout état de cause, au ministre de l’intérieur. Il lui incombe, en sa qualité d’autorité compétente en matière d’homologation, de les faire respecter par l’exploitant du circuit d’Albi en prenant, le cas échéant, les sanctions administratives, y compris pécuniaires, applicables en cas d’infraction. En conséquence des nouvelles dispositions du code de la santé publique issues du décret du 17 août 2017, le ministre de l’intérieur ne pourrait invoquer les pouvoirs de la fédération française des sports automobiles pour s’abstenir de prendre les mesures nécessaires pour faire respecter les normes de bruit imposées par le code de la santé publique au voisinage du circuit d’Albi. Quant au préfet du Tarn, en tant qu’il est chargé de l’exécution de l’arrêté d’homologation, il lui appartient de veiller à ce qu’il soit respecté.

Faire du circuit d’Albi un outil de la transition écologique

L’impact du nouvel arrêté d’homologation sur l’équilibre de la concession restera à préciser. Non seulement les conditions d’exploitation sont modifiées (notamment par l’interdiction des courses de motos prévues dans le contrat de délégation initial), mais le nouvel arrêté impose désormais à l’exploitant de faire réaliser dans un délai maximum de 12 mois, un écran anti-bruit long de 180 mètres au minimum et haut de 4 mètres, à la limite de propriété au droit du quartier des Marannes. De même, l’exploitant est tenu de faire réaliser dans les 12 mois, une étude de conception et de réalisation de dispositifs adaptés devant servir de boucliers acoustiques pour les zones exposées au sud du circuit. Il serait intéressant de savoir si ces nouvelles prescriptions imposées au concessionnaire – qui devraient modifier l’équilibre économique et financier de la concession – vont se traduire ou non par des modifications de son contrat et, dans l’affirmative, sur quoi porteront ces modifications.

Pour garantir la protection de la tranquillité et de la santé des riverains dans le respect des niveaux sonores autorisés, on aurait tout aussi bien pu s’inspirer des dispositifs réglementaires sur le bruit généré par la création ou l’extension de nouvelles infrastructures (aéroports, autoroutes, lignes à grande vitesse, etc.), en introduisant dans le contrat de concession du circuit une clause nouvelle prévoyant la participation de l’exploitant au financement de travaux d’isolation phonique des habitations situées dans un périmètre déterminé autour du circuit, dans l’esprit du « plan de gêne sonore » prévu par le code l’environnement au profit des riverains d’aérodromes (voir notamment les art. R.571-66 et R.571-85). La différence serait que le dispositif trouverait ici son fondement juridique dans le contrat passé entre la Ville et l’exploitant et non dans un décret.

Pour l’avenir, sans doute pourrait-on limiter contractuellement le nombre de jours d’exploitation du circuit pour les véhicules les plus bruyants, quitte à revoir les conditions de l’équilibre économique de la concession. L’arrêté d’homologation, qui fixe les jours et horaires d’utilisation du circuit, se borne à définir un cadre : il n’impose pas d’utiliser le circuit au maximum des durées autorisées. Parallèlement, la Ville d’Albi devrait inciter l’exploitant à accélérer le passage à l’électrique pour faire du circuit d’Albi une infrastructure d’avant-garde au service de la transition écologique : à la fois un anneau d’essais permettant de tester des prototypes de véhicules à propulsion électrique, un anneau de vitesse pour accueillir des compétitions sportives de véhicules à motorisation non carbonée et un outil pédagogique autour des recherches dans le domaine des nouvelles motorisations, à destination du grand public. Afin d’accompagner son délégataire, la Ville pourrait elle-même investir dans le circuit, par exemple pour l’équiper en infrastructures de recharge.

Le circuit d’Albi cesserait ainsi d’être cette pomme de discorde qu’il est devenu depuis quelques années pour redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un lieu de rassemblement pour les passionnés de sports mécaniques et un témoin de la grande épopée des courses automobiles, autant qu’une valeur reconnue du patrimoine historique albigeois.

  Patrick VIEU Pour Viv’Albi